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Le grand déconfinement médical

Si le virus bouscule nos habitudes, change le monde, tue des gens, il mobilise aussi les équipes, énergise les professionnels, améliore même les soins. Alain Vadeboncoeur en a discuté avec quelques collègues.

Tirer des leçons positives de la pandémie en cours, est-ce possible ? En posant la question à des collègues sur les réseaux sociaux, je ne m’attendais pas à autant de réponses favorables. Si le virus bouscule nos habitudes, change le monde, tue des gens, il mobilise aussi les équipes, énergise les professionnels, améliore même les soins. Visiblement.

Et comme on vous parle déjà beaucoup des problèmes, notamment les plus terribles, en CHSLD, je vous propose plutôt ici un tour d’horizon des solutions et des succès, assortis de quelques citations de médecins interrogés. Des exemples de dynamisme, de collaboration, de technologies, d’accès aux soins, de pertinence et de prévention. Des mots qui semblent curieux en pleine pandémie, non ?

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Les médecins sont d’abord étonnés par la promptitude, l’agilité et le dynamisme avec lesquels nos « monstrueux établissements » de santé peuvent se transformer en temps de crise. On me cite une foule d’initiatives stimulantes : réorganisation des unités, rezonage des urgences, mise en place à vitesse grand V de protocoles de soins adaptés, déploiement d’ordonnances collectives permettant aux infirmières d’agir de manière autonome, hébergements temporaires conçus en quelques jours, ouverture de nombreux centres d’évaluation de la COVID, collaboration avec les villes et les groupes communautaires — nommez-en !

« Le système de santé devient tout à coup flexible, évolue pour répondre à la demande en temps réel. La mobilisation du réseau est d’une ampleur jamais vue », écrivent mes collègues. On laisse un peu partout carte blanche aux gens du terrain. D’où l’allègement des procédures administratives, la facilitation des requêtes, la simplification des formulaires, la compression des délais, l’accélération des négociations, l’effacement des barrières bureaucratiques habituelles et les redditions de comptes souples avec le gouvernement pour financer le tout.

La recherche qui s’organise rondement, alors que les projets exigent normalement des mois sinon des années de labeur, cela ébahit tout le monde. Les chercheurs travaillent certes d’arrache-pied, mais avec le soutien et la latitude nécessaires pour permettre cette accélération des connaissances, sans rien sacrifier à la sécurité des patients ou à la rigueur des protocoles.


Sur un tout autre plan, mais qui touche directement les soignants, de nombreuses entreprises québécoises, tout aussi inspirées, transforment leurs chaînes de production et confectionnent dorénavant des équipements de protection, une initiative qui nous rappelle

au passage l’importance de l’autonomie en ces matières.

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Par une collaboration accrue entre les professionnels, une bonne partie du réseau change la donne pour mieux affronter la menace en devenir. Les nouveaux droits accordés aux infirmières (constater les décès en CHSLD), pharmaciens (prolonger les ordonnances), physiothérapeutes et ergothérapeutes (prescrire des orthèses), entre autres, comptent pour beaucoup.

Mieux utiliser les compétences permet plus de souplesse tout en protégeant la qualité des soins. « J’ai toujours apprécié les inhalothérapeutes avec qui je travaille, mais j’avoue que maintenant je les admire ! Ils se sont retroussé les manches ! Il y en a même un qui est revenu de sa retraite bien méritée pour prêter main-forte. »

Le rôle crucial des préposés aux bénéficiaires est souvent mis en lumière, mais aussi celui d’autres travailleurs de la santé, des commis aux secrétaires en passant par les préposés à l’entretien ménager et les technologues en imagerie médicale, affrontant une nouvelle réalité qui oblige à se protéger soi-même pour protéger les autres. « La collaboration intra et extra-hospitalière est vraiment agréable. On se parle et on se donne du feedback. On voit une véritable gestion interdisciplinaire de la crise et du travail d’équipe. Tous face au même problème ! La collaboration et la communication entre les médecins et les administrateurs sont plus dynamiques, plus ouvertes, plus engagées. »

L’esprit de solidarité règne aussi quand il faut appuyer les CHSLD en crise. Des soignants et des équipes de soutien sont envoyés dans ces milieux plus durement éprouvés que les hôpitaux. On apprécie également cette relation renouvelée entre médecins de famille et consultants d’autres spécialités médicales, manifeste lorsqu’il s’agit d’œuvrer conjointement dans les unités de soins COVID.

« On a aussi un accès hyper-rapide aux spécialistes. Je viens d’appeler le plasticien qui était méga de bonne humeur ! C’est un travail d’équipe, sans jamais de honte à se consulter, il y a une grande solidarité entre médecins sur les réseaux. Ça fait tellement de bien, ça ! »

Ici, on constate une meilleure coordination des soins à domicile, avec création de listes de garde régionales afin de répondre aux besoins urgents ; là, c’est un accès direct par téléphone aux médecins et infirmières, ce qui évite des visites inutiles aux urgences ; ailleurs, c’est encore d’autres initiatives qui émergent. « On a créé une clinique de suivi de grossesse avec tous les services au même endroit au moment du rendez-vous. La patiente voit l’infirmière, qui fait les prélèvements si nécessaire et la vaccination, puis son médecin traitant et ensuite le gynécologue pour l’échographie. C’est vraiment génial ! »



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« Bienvenue dans le monde actuel, le courriel fait dorénavant partie des outils utilisés par les médecins pour communiquer avec leurs patients, et leur transmettre par exemple requêtes et formulaires, alors qu’on notait beaucoup de réticence auparavant. » Et à défaut d’abolir le fax, on passe à sa version informatisée, avec envoi direct grâce à des outils numériques.

De telles poussées technologiques, on en compte plusieurs durant cette crise, qui pousse au déploiement de mesures longtemps attendues. Parmi celles-ci, mentionnons la téléconsultation, aussi appréciée des patients que des médecins, où ces derniers apprennent comment soigner… par vidéo. « J’ai pu soigner des gens de toute la province sans que personne se déplace. Pas de temps d’attente indu quand quelqu’un a besoin de consulter. Est-ce que ça veut dire qu’on arrête de se chicaner sur la distribution des médecins ? » Voilà certainement une avenue inédite à considérer pour offrir un meilleur accès aux patients.

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Même le bon vieux téléphone retrouve ses lettres de noblesse. « Il y a d’innombrables situations qu’on peut régler par téléphone. La plupart des gens peuvent se permettre de 10 à 20 minutes au travail pour une consultation avec leur médecin. D’un point de vue économique, c’est rentable pour l’employeur et le patient. On oublie parfois la logistique qu’un travailleur doit mettre en place pour un rendez-vous avec son médecin ! »

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Et durant presque deux mois, pour la première fois en 40 ans, l’accès aux urgences est facilité : fini l’engorgement, on revient à la mission première de répondre aux problèmes vitaux, un changement majeur quand elles ne jouent plus le rôle de réservoir pour le débordement des hôpitaux.

« Plusieurs facteurs ont contribué à améliorer les choses : moins de sorties, moins d’accidents, moins de contamination à toutes sortes de bactéries et de virus. Et, avouons-le, dans un système de santé où c’est gratuit, nous sommes de grands consommateurs de soins. Le contexte de pandémie a favorisé l’autogestion des soins. Ça remet aussi en perspective l’importance de certains bobos, par exemple la mycose des ongles. Ça fait du bien d’en entendre moins parler ! »

Aux urgences, on dirige les moins malades vers une première ligne renouvelée. L’efficacité devient souvent la règle grâce aux suivis téléphoniques, les visites en personne étant réservées à ce qui ne peut être fait autrement. Avec le décloisonnement des groupes de médecine familiale, les médecins peuvent dorénavant recevoir les patients qui n’ont pas de médecin de famille ou qui viennent d’une autre région. Une disponibilité, virtuelle ou pas, qui est fort appréciée dans les circonstances.

Devant la difficulté d’offrir autant de tests qu’à la normale, les médecins travaillent par exemple sur l’amélioration de la pertinence des requêtes, un exercice que d’habitude on néglige un peu. On les soulage en contrepartie de tâches répétitives, comme remplir les formulaires de la SAAQ, ce qui leur permet de mieux se consacrer aux activités proprement médicales.


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Ne serait-ce qu’en rappelant constamment l’importance de la santé publique dans l’équation générale, on met l’accent sur la prévention, une pratique — médicale — pourtant victime de compressions sous le précédent gouvernement. « On n’entend plus parler des critiques des vaccins ! Au contraire, le monde attend “le” vaccin. On a la vie plus facile avec certains parents lorsqu’on discute de vaccination. Plusieurs commencent à me parler de l’éradication de la variole et entretiennent cet espoir pour la COVID. »

Alors que l’épidémie de grippe saisonnière fond comme neige au soleil dès qu’on applique les premières mesures de distanciation en mars, la salubrité s’améliore un peu partout grâce à une utilisation accrue du matériel de protection. L’obligation de changer de vêtements avant de quitter l’hôpital y contribue.

L’étiquette respiratoire devient elle-même une norme qui protège d’abord les plus vulnérables, de sorte qu’on doit soigner moins d’enfants malades ou de patients souffrant de problèmes pulmonaires.

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Gérer cette crise, soigner ces patients souffrant d’une maladie méconnue aux particularités rares, tout cela constitue enfin pour les médecins — et les autres soignants — un solide défi professionnel, humain et intellectuel, qui pousse par moments les travailleurs de la santé jusque dans leurs derniers retranchements, mais qui souvent permet aussi le dépassement de soi. « L’adaptation mène à des solutions vraiment porteuses et créatives ! »

L’avenir immédiat s’en trouve parfois même changé. En première ligne, certains médecins redessinent leurs plans de clinique pour inclure plus de bureaux de télémédecine, des salles épurées, au mobilier désinfectable, alors qu’on supprime les tapis, qu’on agrandit les couloirs et qu’on évite les grandes salles d’attente. L’inscription automatique, avec la carte de la RAMQ, sans contact, est envisagée.

Même l’opinion publique, souvent critique envers les médecins, leur paraît favorable en ces temps de pandémie, une reconnaissance fort appréciée. Et on ne leur parle d’ailleurs pas juste des médecins, mais bien de tous les soignants. C’est que les patients constatent le dévouement de chacun, les risques encourus, la valeur des actions posées. « Je n’ai jamais reçu autant de mercis et de compliments des patients. Ça fait un grand bien. »

Et pour la suite ? « On a confiance ! » affirment de nombreux collègues, plutôt optimistes. Peut-être parce que rien ne sera plus comme avant ?

« La prochaine vague, ça ne sera pas pareil, on a beaucoup appris. »



Fonte: https://lactualite.com/sante-et-science/le-grand-deconfinement-medical/?utm_source=L%E2%80%99actualit%C3%A9&utm_campaign=36ca5207f8-EMAIL_CAMPAIGN_2020_07_30_03_03&utm_medium=email&utm_term=0_f566f03091-36ca5207f8-397075854

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